L'enquête menée entre avril et septembre 2022 concernait deux stages ambulatoires (c'est-à-dire en cabinet, par opposition aux stages effectués à l'hôpital) que chaque interne de médecine générale doit réaliser : le SN1 (stage niveau 1) et le SASPAS (stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée). Ces stages doivent respectivement être réalisés au cours de la première et de la troisième année d’internat. Au cours d’un même stage ambulatoire, l’interne est amené à fréquenter entre 2 à 3 lieux de stage différents. Ces derniers sont généralement situés dans des zones sous dotées et peuvent être difficilement desservis par les transports en commun.
L’objectif de cette étude était d’identifier les vecteurs d’amélioration du vécu de ces stages, enjeu d’autant plus crucial à l’heure où l’internat de médecine générale va être allongé d’une année avec 2 stages ambulatoires supplémentaires.
- Avoir un logement central apparaît actuellement nécessaire pour beaucoup d’internes
Les internes franciliens vivent majoritairement à Paris (environ 50% des répondants) alors que Paris concentre moins de 20% de la population générale d’Île-de-France [page 8] [1].
Cette situation peut en partie s’expliquer par l’implantation géographique des facultés puisque les lieux d’enseignements sont globalement situés à Paris ou en proche banlieue. Mais un autre facteur explicatif réside aussi dans la mobilité qu’exige l’internat en général et les stages ambulatoires en particulier.
Les internes changent de lieu d’exercice tous les 6 mois et être à Paris, à un point relativement central, permet de se déplacer plus facilement d’un lieu à l’autre sans avoir forcément besoin de déménager.
La majorité des internes franciliens (62,6 % des répondants) sont locataires et ont pour la plupart eu des difficultés à trouver leur logement [page 13]. Déménager à chaque changement de semestre, comme c’est fréquemment le cas dans d’autres régions, est rendu plus complexe en région parisienne du fait de la forte demande locative mais également des contraintes imposées à la constitution du dossier, notamment pour la caution. Il est ainsi extrêmement compliqué pour les internes franciliens de quitter leur logement tous les 6 mois.
- L’exigence de mobilité est fortement accrue lors des stages ambulatoires
Au cours d’un même stage ambulatoire, l’interne est amené à fréquenter entre 2 à 3 lieux de stage différents et ces derniers peuvent être très éloignés les uns des autres. Lors du SASPAS, 40% des internes déclaraient ainsi avoir des lieux de stages situés dans 2 ou 3 départements différents [page 21]. Au cours d’une même semaine, ils sont ainsi susceptibles de traverser l’Île-de-France depuis leur domicile pour se rendre sur les différents lieux d’exercice de leur MSU.
Pour leurs trajets, les internes sont fortement dépendants des transports en commun puisque 72% des répondants déclarent les utiliser. Seulement 42% déclarent par ailleurs avoir le permis mais seulement 11% possèdent une voiture [page 11].
Or, dans la mesure où les terrains de stages ambulatoires maillent l’ensemble territoire francilien, ils sont nombreux à être difficilement desservis par les transports en commun. Les territoires les plus éloignés et les moins bien desservis par les transports héritent alors d’une image négative, poussant les internes à ne pas les choisir.
- L’accessibilité des terrains de stage ambulatoire affecte la santé mentale des internes
Dans notre enquête, 61% des internes interrogés pensent qu’ils sont davantage exposés aux risques psychosociaux en stage ambulatoire par rapport aux stages hospitaliers [page 36]. Pour l’expliquer, ils mettent en avant l’isolement vis-à-vis des autres internes (85%) mais également le fait de devoir se déplacer dans plusieurs départements au cours d’un même stage (76%) avec un temps de transport parfois très important.
Une étude canadienne [2] a d’ailleurs montré qu’au-delà de 20 minutes de trajet, le risque d’épuisement professionnel augmente. Alors que les internes sont très fortement concernés par les risques psychosociaux (67% d’épuisement professionnel chez les externes et internes en 2021 [3]), diminuer le temps de trajet et améliorer le vécu des stages ambulatoires apparaît dès lors primordial.
- La proximité par rapport au domicile est ainsi le premier critère de choix des stages ambulatoires
Pour choisir leurs lieux de stage, plus de 80% des internes prennent en compte avant tout la distance de ces stages par rapport à leur domicile (87% pour le choix du SN1 et 84% pour le choix du SASPAS) beaucoup plus que le projet professionnel (12% / 29%), le mode d’exercice (39% / 49%) ou encore le type de de structure (36% / 46%) [page 25].
Cette situation souligne clairement la pertinence d’un logement à proximité du terrain de stage pour diminuer la charge de transport quotidien, frein essentiel à la mobilité sur le territoire francilien.
- Les internes souhaiteraient donc fortement pouvoir bénéficier de logements proches des lieux de stage ambulatoire
Les internes interrogés aimeraient pouvoir disposer d’un logement, en particulier quand le terrain de stage est éloigné. 67,5% des internes trouvent ainsi essentiel le fait de se voir proposer un logement lorsque le terrain de stage est éloigné de plus d’une heure de leur lieu de résidence [page 30]. Pourtant, plus de 95% des internes déclarent ne jamais avoir eu de telle proposition de logement.
Bénéficier d’un logement proche du lieu de stage déchargerait les internes des contraintes de transport. Ils pourraient ainsi se concentrer davantage sur leurs consultations plutôt que de surveiller l’heure avant le dernier bus permettant de rejoindre la gare la plus proche pour pouvoir rentrer chez eux. En outre, avoir accès à un logement provisoire et gratuit sur la durée d’un stage ambulatoire leur permettrait de choisir plus aisément des lieux d’exercice éloignés, tout en continuant à louer leur logement plus central, souvent très difficile à obtenir en région parisienne comme nous l’avons souligné précédemment.
- Proposer un logement constituerait un vecteur majeur d’installation des futurs généralistes
Outre l’amélioration des conditions d’apprentissage, être logé à proximité du cabinet dans lequel ils exercent permettrait aux internes de mieux découvrir le territoire dans lequel a lieu leur stage. Ce territoire ne serait plus uniquement perçu comme un lieu de passage éphémère de leur stage à leur domicile. Ils pourraient en explorer les alentours et passer un peu de temps personnel sur ce territoire, facilitant leur attachement, et favorisant leur installation.
72% des internes déclarent ainsi que la mise à disposition d’un logement dans un territoire peut leur donner envie de s’installer sur ce territoire [page 28]. Alors que les jeunes médecins sont actuellement peu nombreux à s’installer, il s’agit là d’un levier essentiel à exploiter. Résider sur le territoire pendant l’internat permet une meilleure connaissance de celui-ci, une découverte du cadre de vie et facilite la projection d’installation.
- Les logements proposés devraient tenir compte des spécificités de la situation des internes
Les internes interrogés plébiscitent majoritairement le logement en résidence, seul ou à partager en colocation, située à proximité de leur lieu de stage. Ils préféreraient que ce logement soit situé en dehors de la structure dans laquelle ils effectuent leur stage, probablement pour permettre une réelle coupure avec la journée de travail. Ce logement devrait idéalement être accessible dès le stage de niveau 1 lors de la première année d’internat puisque 75% des internes célibataires de première année ayant un stage éloigné aimeraient pouvoir bénéficier d’un tel logement.
Les logements proposés devraient par ailleurs prendre en compte la situation des internes qui ne sont plus de jeunes étudiants, mais davantage des adultes aux prémices de leur vie de famille.
En début d’internat, les proportions d’internes célibataires ou en couple sont quasiment les mêmes. La proportion d’internes célibataires décroît au cours de la 2ème année pour chuter à 25% en 3ème année. D’après les projections basées sur les chiffres de notre étude, ils pourraient être plus de 80% à être en couple durant une 4ème année d’internat. Le fait d’être en couple est souvent synonyme de faible mobilité inter-départementale, mais aussi vecteur d’une plus forte implantation locale à court ou moyen terme.
Les logements proposés aux internes devraient donc viser non seulement des internes célibataires plus mobiles, mais également des couples sans doute plus à même de se projeter à court terme dans un projet territorial.
Ainsi, cette étude tend à montrer que proposer des logements à proximité des lieux de stages ambulatoires permettrait d’accroître l’attractivité de ces stages, d’améliorer leur vécu et la formation, de favoriser une meilleure appropriation du territoire par les internes et, à terme, de faciliter les projections en termes d’installation.
Cela représente donc un levier d’action majeur pour dynamiser et pérenniser les installations de futurs généralistes sur l’ensemble du territoire francilien.
À cet égard, des solutions existent dans d’autres régions telles que des internats ruraux ou des maisons des internes, subventionnés par des acteurs locaux. L’Île-de-France, attractive pour les internes par sa qualité de formation et sa variété des terrains de stage (urbain, semi-urbain et rural) devient contraignante par son manque de logements disponibles pour les internes.
Développer des solutions de logement pour les internes sur le territoire francilien s’avère donc aujourd’hui une nécessité.
[1] Les numéros de page mentionnés renvoient au dossier d’analyse de notre enquête
[2] Barreck, A ; Navettage et épuisement professionnel selon la région et le moyen de transport : les résultats de l'étude SALVEO ; Thèses et mémoires électroniques de l’Université de Montréal
[3] Enquête ISNI, ISNAR-IMG et ANEMF 2021 ; La santé mentale des futurs médecins en danger !